Un moment passé avec Tom, Antidoot Wilde Fermenten

Dans le monde de la bière, Antidoot Wilde Fermenten fait partie des productions aux quantités confidentielles mais à la renommée mondiale. Après avoir été professeur de philosophie, Tom Jacobs s’est reconverti au métier de brasseur, mais cantonner son travail à la production de bières serait bien trop réducteur. Il produit également des cidres, du vin et des boissons hybrides. Son approche est globale car elle touche aussi au métier de cultivateur, de vigneron, d’éleveur, d’assembleur… sa vision de ce qu’il fait est à l’image de ses produits : inclassable et passionnante.

Merci Tom de nous recevoir chez toi. Est-ce que tu peux nous présenter ton domaine ?

On est ici dans le jardin de notre maison et c’est aussi le lieu où la brasserie est située. Nous avons emménagé ici avec ma famille il y a 15 ans. Au début nous n’avions pas de plan spécifique mais nous aspirions à devenir auto suffisant, notamment en ce qui concerne les fruits, les légumes…

La première chose que nous avons mise en place a été de planter des arbres fruitiers, en commençant par ceux qui prennent du temps à grandir et à donner des fruits. Au début, entre la maison, le jardin, et ce que nous cultivons à l’arrière, nous avions un hectare.

Après les arbres fruitiers, vous avez commencé à planter de la vigne ?

Oui nous avons commencé à planter des vignes il y a dix ans, avec notamment du pinot noir, du gewurztraminer, des variétés résistantes comme le cépage  français Léon Millot, le cépage Suisse Cabernet Jura, ou encore le Sauvignac.

Récemment, nous avons agrandi notre domaine avec une nouvelle parcelle en y plantant des nouveaux pieds de vigne mais aussi des pommiers à cidres, des mirabelliers et tout autre autre arbre pouvant permettre des variantes de cidre. Pour les raisins, nous avons principalement sélectionné des cépages blancs, parce qu’ils sont moins sensibles aux insectes ravageurs, mais aussi parce que ce sont les raisins que nous apprécions le plus, notamment pour l’acidité qu’ils peuvent apporter.

On a donc planté quelques cépages classiques comme le Riesling, le Chardonnay, le Savagnin, le Cabernet France, le Pinot gris… et d’autres moins classiques comme le red Riesling rouge, le Johanniter et quelques nouvelles variétés qui proviennent notamment d’Autriche comme le Donauriesling et Donauvetliner, de la France avec le Calardis Blanc, le Voltis qui est maintenant autorisé dans le Champagne, le Sauvitage... On a aussi planté du muscat, non pas que l’on aime ça dans le vin, mais on trouve que cela se marie très bien avec la bière.

Nos vignes sont plantées au milieu de nos arbres fruitiers. Notre objectif est de pouvoir s’adapter au changement climatique et d’attirer les insectes alliés des cultures et des sols. La diversité des arbres que nous avons planté amène une diversité dans la vie du sol, ce qui nous aide à minimiser nos traitements et à avoir naturellement des raisins sains.

On a au total un hectare de vignes et je dois avouer que je suis surpris de la quantité de travail que cela représente. Chaque année, on aura ainsi des cuvées différentes qui vont dépendre de ce que l’on aura pu récolter.

Et en ce qui concerne les plantes et herbes aromatiques que tu as un peu partout ?

Elles font leur vie !

On n’a pas besoin de faire ce travail de suivi comme avec les vignes. Il y a en a certaines qui étaient déjà là où qui ont poussé d’elles-mêmes et d’autres que j’ai planté moi-même, après les avoir découvertes dans d’autres lieux où je suis allé.

Au final, combien y t’il d’arbres à entretenir ?

Nous avons planté environ 200 arbres, mais c’est sans compter les cassis et autres baies, les figues… surtout que nous n’utilisons pas que les fruits, parfois ce sont aussi les feuilles, les branches… 

Avec cette production, nous avons un contrôle total sur ce que nous proposons. Nous pourrions bien sûr acheter des fruits à droite et à gauche, ou bien dans un secteur géographique limité autour de la brasserie, mais je dois avouer qu’il y a à la fois un plaisir et un état d’esprit qui nous va bien en faisant tout nous-mêmes. On créé une grande diversité de produits avec nos propres moyens.

   

Est-ce que ton ancien métier a une influence sur ce que tu fais aujourd’hui ?

Auparavant j’étais professeur de philosophie, bien sûr je ne travaille plus du tout sur de la théorie mais je pense que j’ai essayé de garder une certaine vision, notamment en ce qui concerne la liberté. On essaye de ne pas trop regarder ce que les autres font, on s’inspire de plein d’autres choses et on évite de suivre les modes. On a envie de faire des choses qui nous plaisent, que l’on prend du plaisir à boire sans se soucier de faire rentrer cela dans des cases.

Il nous arrive ainsi régulièrement de mixer bière, cidre, vin… parce que pour nous c’est un ensemble continu de fermentations naturelles. On recherche avant tout des saveurs et un équilibre dans ce que l’on fait, peu importe le produit.

D’où viennent les citations que l’on peut retrouver sur tes bouteilles ?

Elles proviennent majoritairement de poètes du 19è siècle et du début du 20è siècle, dont certains du courant romantique et en lien avec la nature. Cela fait écho à ce que l’on fait car il y a une inspiration écologique. C’est d’ailleurs pour cela que l’on s’appelle Antidoot, c’est un remède pour nous-mêmes, un antidote à la production moderne de masse, dans laquelle on rentre dans des process où il faut toujours croître.

Dès que j’ai commencé, j’ai décidé que notre production serait toujours la même en termes de volumes, c’est l’essence même de notre projet. Dans le cas contraire, on perdrait tout l’esprit de liberté que nous avons maintenant et on ne pourrait plus être en mesure de faire ce que l’on fait.

On n’aurait pas non plus le temps de connaitre en personne les gens qui consomment nos produits, et on en connait une majorité, ce qui est très important pour nous et qui fait partie de la poésie de notre métier. On essaie de faire en sorte que cette poésie que l’on retrouve sur nos étiquettes se retrouve aussi dans nos bouteilles.

En parlant de production moderne, y’a-t-il une bière que tu apprécies malgré tout dans les productions modernes ?

C’est parfois difficile de tracer une ligne claire entre bière de production moderne ou traditionnelle, industrielle ou artisanale. Si je devais choisir une bière dans un bar à bières ce serait la XX-Bitter de De Ranke. Ce n’est pas une bière artisanale typique au sens strict du terme, on est loin d’une IPA, mais c’est une bière amère avec des cônes de houblons frais, que j’apprécie.

D’ailleurs dans de nombreuses bières que nous réalisons nous aimons apporter de l’amertume, certes combinée avec une acidité, mais c’est vrai que j’aime bien l’amertume. J’aime bien les Amaros Italiens, les pilsners bien sèches avec un joli profil houblonné, mais c’est plus quelque chose que je bois lors de festivals par exemple.

D’ailleurs, est-ce que tu as un festival de bière favori ?

En général, je ne suis pas trop fan des festivals, car je trouve que ce ne sont pas forcément des lieux de dégustation adaptés pour les bières très équilibrées. Cela se retrouve également sur des festivals de vins, où l’on peut goûter plein de choses en toutes petites quantités. De mon point de vue cela ne permet pas de réellement apprécier ce que l’on goûte. J’aime bien pouvoir avoir une « zone de contemplation du produit », comme celle où nous nous situons maintenant.

Mais il y a un festival auquel on est toujours ravis de participer c’est le Carnivale Brettanomyces, à Amsterdam, parce qu’il y a là-bas une approche différente, avec de nombreuses salles pour échanger sur des sujets très différents et des dégustations où l’on prend son temps.

De notre côté, on essaie de ne pas rester uniquement dans le monde de la bière artisanale, et de s’ouvrir à d’autres univers, à d’autres gens, par exemple via le vin, la poésie, les céramiques. Cette multitude d’horizons permet d’avoir de jolies expériences de dégustations.

On sait que tu aimes le vin, si tu devais ne choisir qu’une région, laquelle serait-ce ?

Ahaha, vous savez déjà ! C’est bien sûr le Jura.

Un cépage favori ?

Le Savagnin.

Et un vigneron préféré ?

Le domaine Labet !

Concernant tes bonnes adresses gastronomiques, si tu devais nous en recommander 3 en Belgique ?

Oh il y en a une qui est très facile c’est un endroit pas loin d’ici et ça s’appelle Wannes Raps, à Diest, une très jolie ville médiévale de la région du Brabant. Ça ressemble un peu à un bistrot parisien, c’est abordable, avec de bons ingrédients biens travaillés.

Le second est à Louvain, c’est le Hopgastrobar. C’est un endroit un peu plus gastronomique mais qui reste aussi abordable, où l’on retrouve une très chouette sélection de bières et de vins.

Pour finir, je dirais, Veranda, à Antwerp. Au niveau de la nourriture c’est incroyable, c’est gastronomique mais sans trop en faire. C’est un de mes endroits préférés en Belgique et ils ont une carte de vins fantastique.

Quel restaurant a d’après toi la plus belle carte de bières ?

C’est très probablement le De Gebrande Winning, à Saint-Trond.

Et pour les cidres ?

Je dirais Badi, à Bruxelles, on y mange très bien aussi d’ailleurs, il n’y a pas besoin de réserver, c’est très chouette.

Merci Tom pour cet échange !

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