Un moment passé avec Jean et Florian à la Brasserie Cantillon
C’est indéniable, Cantillon se trouve au rang des brasseries les plus mythiques.
Elle en fait rêver plus d’un.e, nombreux.ses sont celles et ceux qui ont poussé ses portes pour aller percer un peu de mystère, voir ce qu’il se passe dans cet antre, déguster des cuvées nouvelles ou adorées.
Nous avons la chance de travailler avec la famille Van Roy, mais aussi de la compter parmi nos amis.
Lors de notre dernière visite en avril dernier, nous avons pris le temps de discuter avec Jean et Florian, le père et le fils ; qui représentent la 4ème et 5ème génération. On a parlé bière … mais pas que !
Très attachés aux moments en famille, ce sont aussi des passionnés de foot, et évidemment, de bonne bouffe !
Pour connaitre un peu plus les coulisses de cette brasserie mythique, on a retranscrit dans cet article le meilleur de nos échanges. Allez-y, lisez ! C’est comme si vous aviez passé ce moment avec nous.
C’était un mardi matin, le réveil a été quelque peu embrumé après une soirée finie dans la cave des Brigittines en compagnie du chef Dirk Myny mais aussi de Jean, patron du célèbre bar Moeder Lambic.
Jean et Florian nous reçoivent à la brasserie et débouchent un lambic au cinsault. L’ambiance est là, l’accueil chaleureux, la discussion fluide.
Julien : Comment s’est passée la saison de brassage cette année ? (Pour info, le lambic ne peut qu’être brassé en période froide).
Jean : La saison du brassage s’est terminée fin mars. Si on avait su qu’avril serait aussi froid, on aurait brassé un peu plus. On a réalisé 46 brassins cette année.
Florian : On a fait notre premier brassin le 15 novembre, on a pris un peu de retard donc ça a bien charbonné.
Ce premier échange nous a directement fait penser à un sujet omniprésent de nos jours : le réchauffement et les aléas climatiques. On avait le sujet quelque part en tête, le monde du lambic est-il lui aussi concerné ? On a posé la question.
Adrien : Vous sentez qu’il y a des défis à relever du fait de ces aléas climatiques ?
Florian : Le changement climatique nous impacte directement, on est dépendant de la météo pour brasser et avec des hivers de moins en moins froids, cela pourrait devenir compliqué. Cet hiver par exemple, on a eu 17 degrés fin décembre ! On a eu de la chance, c’était pendant la semaine entre Noël et le jour de l’an, donc pas de brassage. Et puis début avril, on a eu des températures proches de 0, c’est vrai que ça devient imprévisible.
Julien : Et globalement, d’autres défis à relever ? D’un regard extérieur, l’attrait pour Cantillon semble être à son apogée !
Florian : Honnêtement, pour nous c’est vrai que l’attrait est là ! On a la chance d’avoir toujours une demande très forte. Mais on sent que c’est un peu morose dans certaines lambiqueries, et même globalement dans le monde des micro-brasseries. On a des échos mitigés de la part de nos collègues, mais ce n’est pas catastrophique non plus.
Jean : Je crois aussi que globalement, il y a eu un emballement des prix, ça joue. Nous on n’est jamais parti dans cette optique là, on a toujours fait attention à nos prix.
Florian : Le pouvoir d’achat a diminué pour tout le monde, c’est indéniable. Tout le monde fait un peu plus attention, on doit faire des choix. Mais tout ça devrait se réguler.
Adrien : Vous semblez en phase dans vos idées. Jean, parmi les valeurs transmises par ton père, lesquelles as-tu retenues et qu'as-tu envie de transmettre à Florian ?
Jean : Continuer à rester fidèle à notre produit et faire vivre cette passion. Respecter son consommateur, en continuant à proposer des bouteilles à des prix accessibles, ce qui est un vrai choix de notre part. On a des clients qui venaient chercher leurs gueuzes il y a 20 ans, on ne peut pas leur dire qu’aujourd’hui c’est 5 fois plus cher. On a des valeurs familiales. La roue peut tourner, aujourd’hui on est en haut, il y a 20 ans on n’en était pas là. Il ne faut pas oublier d’où on vient, on ne sait pas où on en sera dans 10/15 ans. Et on ne reste jamais au sommet ad vitam aeternam.
Adrien : En dehors de la bière, il parait que vous aimez le foot ! Vous avez participé aux déplacements de l’Union Saint-Gilloise (club de foot bruxellois) en Coupe d’Europe cette année ?
Florian : Oui on les a tous faits ! On s’est arrêtés en quart, face au Bayer Leverkusen, une équipe allemande. On a vécu des chouettes déplacements en Europe, nous qui n’avions jamais vécu ça.
Jean : On était un peu le petit poucet mais on est sorti de poule brillamment, en tête ! On a passé de super moments, personne n’aurait pu imaginer ça.
Julien : L’Union c’est une passion qui anime également ton père Jean ?
Jean : Oui, mon père, mon grand-père et même mon arrière-grand-père, que je n’ai jamais connu. Ça aussi c’est une histoire de famille chez nous. Je me rendais au match le dimanche, quelques fois avec mon grand-père qui venait me chercher après les repas de famille dans son Opel Vectra verte. Mon père avait un peu lâché le club lorsqu’ils étaient descendus, maintenant il revient les voir.
Florian : On fait toujours beaucoup de repas en famille, ça nous permet de vivre ce genre de moments. C’est le plus important.
Julien : Existe-t-il des divergences entre vous deux quant à votre vision de l'entreprise ?
Florian : De manière générale on a la chance d’être plutôt sur la même longueur d’ondes. Si, j’aime bien que tout soit rangé et à sa place, mais franchement ça s’est secondaire.
Julien : Et l’équipe avec qui vous travaillez ?
Florian : Ça se passe super bien, on a une bonne équipe.
Jean : En comptant le bureau on est 10, et l’ambiance est bonne. On accueille aussi régulièrement des stagiaires pour les périodes de brassage.
Florian : C’est agréable d’avoir des personnes en stage parce qu’on apprend aussi de leurs cultures, ce sont des belles rencontres.
Jean : On a beaucoup de québécois qui viennent pour se former par exemple. Et on a encore des nouvelles d’eux bien après, certains nous envoient leurs premiers brassins.
Florian : Et nos salariés eux sont là depuis pas mal d’années, 5, 10, voire 15 ans donc on se dit que c’est une bonne atmosphère. Et puis il y a Berto (le gérant du bar, entre autres) ! Lui, on pourrait dire qu’il est né dans la brasserie (rires).
Bertho, derrière le comptoir de la brasserie
Julien : Vous pouvez nous parler de ces 2/3 stagiaires qui ont monté leur brasserie ?
Florian : Il y a Maxime, qui est québécois qui nous a envoyé sa première spontanée. Et vous devez connaitre Aymeric, de la Brasserie Levain, qu’on apprécie beaucoup et qui est très prometteur. Doug, qui a créé Blind Enthusiam à Edmonton au Canada, des bières spontanées.
Jean : Doug a créé sa brasserie moderne à l’image de la brasserie Cantillon. C’est une personne qui a des connaissances en bière exceptionnelles. Un des meilleurs stagiaires qu’on ait eu, il savait tout.
Florian : Il revient souvent, il se verrait bien ici. On a plein de stagiaires qui tombent amoureux de la ville. Et qui nous demandent de penser à eux si des postes se libèrent à la brasserie.
Julien : C’est super, car franchement, ce n’est pas simple de recruter en ce moment.
Jean : C’est vrai que ce n’est pas simple, cela dit, on est passés à 4 jours/semaine, c’est cool pour les gars. La plupart prennent leur lundi ou leur vendredi. On a une affaire qui tourne bien, et c’est grâce à l’équipe, donc on est contents de pouvoir offrir ça.
Florian : Ça fonctionne très bien. On est bien plus efficaces sur des semaines de 4 jours je trouve.
Jean : Florent Ladeyn aussi par exemple est passé sur la semaine de 4 jours, et il n’a eu aucun mal à recruter.
Adrien : On souhaite connaitre vos bons plans aussi ! Nous on a mangé chez Calmos hier, vous quelles sont vos bonnes adresses à Bruxelles ?
Jean : En face de Calmos justement il y a une très bonne adresse qui s’appelle Flamme, qui a quelques Cantillon à la carte, c’est très bien. Le Damoiselle, mais aussi Modern Alchimist pour boire un cocktail et puis Liesse.
Bruxelles bouge excessivement bien. Il y a aussi des adresses plus au centre, nos amis de La Fruitière, qui font des associations bières et fromages. Yi Chan, pour de la cuisine chinoise, et on peut y trouver des Cantillon, Nénu pour la cuisine vietnamienne, j’adore leur cuisine et ils vont aussi avoir nos bières bientôt. Avoir un lambic sur cette cuisine là c’est très très bon ! On peut citer aussi La Bonne Chère et bien sûr Les Brigittines.
Julien : Vous n’avez pas cité Les Petits Bouchons ?
Florian : Ça c’est à part ! Ça reste mon endroit préféré à Bruxelles.
Jean : Et il y en aura bientôt un autre !
Florian : Ah oui, et puis ma copine va ouvrir une petite boutique épicerie fine-focacceria, MangiaSempre, elle va bientôt avoir les clefs. Ce sera situé à proximité du stade de l’Union (depuis, le lieu a ouvert ses portes).
Adrien : Y a-t-il un ingrédient, un plat, avec lequel vous adorez boire une gueuze ?
Florian : Mon grand-père m’a appris à apprécier la gueuze en fin de repas. Mais s’il fallait y associer un plat, je dirais quelque chose de réconfortant, de mijoté, par exemple une choucroute.
Jean : Ça marche très bien avec les plats mijotés en effet, la gueuze fait digérer. Ça fonctionne bien avec une bonne charcuterie bien grasse, ou les fromages forts comme le Fromage belge de Herve aussi. Et un des mariages parfaits qui sublime les deux produits, je dirais que ce sont les produits de la mer et particulièrement les poissons fumés.
Adrien : Y-a-t-il des villes ou des destinations culinaires qui vous animent et vous inspirent ?
Florian : Avant d’être avec ma copine Giulia qui est italienne, j’étais déjà tombé amoureux de ce pays, de cette culture. J’ai eu une éducation de la bonne bouffe et le respect qu’ils ont pour la nourriture me fascine. Et puis bien sûr la France, parce qu’on y partait tous les ans en vacances lorsque j’étais petit, c’est un pays magnifique.
Jean : Pareillement ! Ce n’est pas pour rien que l’Italie a été un des premiers pays européens à importer nos bières. C’est un pays extraordinaire. Mal manger en Italie, il faut le vouloir !
Florian : Il y a vraiment ce côté simplicité. Ma copine m’a fait découvrir les pâtes ail huile piment (« aglio, olio e peperoncino »), c’est un plat typique de l’Italie, simple mais tellement merveilleux. Il leur suffit de peu d’ingrédients pour magnifier.
Jean : On a pris récemment à Bologne un simple panini mortadelle, c’était délicieux. Il y avait la queue avant que ça ouvre, déjà presque 100 personnes !
Adrien : Et si on revient en Belgique, y a-t-il une spécialité que vous aimez manger particulièrement ?
Florian : Notre panini mortadelle à nous c’est un peu le pistolet haché pickles.
Jean : Le haché de porc est cru, ce qui est assez rare. Il faut de l’excellente viande. Le gras de la viande est coupé par l’acidité des pickles. Et puis bien sûr on a une spécialité qu’on adore, ce sont les croquettes aux crevettes.
Julien : Ah ! Les croquettes on adore ça aussi, et allez dites-nous, où peut-on manger les meilleures ?
Florian : Cela dépend des goûts de chacun mais on peut citer nos amis de chez Fernand Obb, celles de chez Tom aux Petits Bouchons ou celles de Dirk aux Brigittines.
Jean : Dirk fait ses croquettes aux crevettes à la gueuze. Il n’a jamais participé au concours des meilleures croquettes aux crevettes de Bruxelles, et pour certains membres du jury, tant que Dirk n’aura pas pris part au concours, on ne saura jamais exactement qui fait la meilleure croquette aux crevettes.
Adrien : Comment choisissez-vous les ingrédients que vous mettez en avant chaque année dans la bière du Zwanze* ?
Jean : C’est souvent un concours de circonstances, des rencontres. Par exemple pour le poivre, c’était lors d’une dégustation de poivre organisée à La Fruitière que m’est venue l’idée. Pour le Zwanze 2018, on avait récupéré des fûts de Chianti, d’Amarone, et de San Giovese, on a eu un produit exceptionnel issu de cet assemblage et on n’a pas réfléchi plus longtemps. C’est très important de garder une ouverture d’esprit, d’être curieux, sur tous les types de nourritures et tous les types de boisson. C’est de là que vient notre inspiration.
Florian : Pour moi quand tu t’intéresses à la bonne boisson, tu t’intéresses automatiquement à ce que tu manges aussi. C’est une culture globale.
*Créé en 2011 et désormais organisé une année sur deux au printemps, le Zwanze Day est un événement mondial pour lequel la Brasserie Cantillon brasse une bière expérimentale en quantité limitée, proposée à la vente dans un nombre restreint d'établissements à travers le monde.
Julien : Ça c’est vraiment le cas aussi dans le monde du vin nature. D’ailleurs, si on parle vin, quels sont vos goûts : si vous deviez choisir un cépage, une région et un vigneron ?
Florian : J’aime les choses bien faites, faciles à boire et pas trop fortes en alcool. Je suis un fan de gamay, des petits rouges légers, fruités, plutôt dans le Beaujolais.
Jean : Je rejoins Flo mais je vais choisir le pinot noir. J’aime bien quand ça pinote, et il y a de superbes pinots en Alsace. Je pense à Catherine Riss par exemple, elle fait des choses invraisemblables. Et si je dois choisir un viticulteur, j’adore ce que fait Stéphane Tissot, pas seulement pour ce qu’il fait mais aussi pour la personne qu’il est. Quand tu bois un vin ou une bière, tu bois ton verre différemment quand tu connais la personne qu’il y a derrière. Je pourrais citer d’autres personnes, beaucoup de belles personnes. On a la chance de travailler avec plein de viticulteurs super sympas.
Florian : Pour ma part si je dois citer un vigneron je dirais Louis Maurer que j’ai rencontré en Alsace. On s’est bien marrés, il est jeune et il fait des super vins ! Une belle rencontre.
Jean : On va commencer à faire des rotations sur les lambics au raisin, on a beaucoup expérimenté, on a travaillé plein de cépages mais là on a envie d’autres choses. Le monde du vin et de la bière sont extraordinaires, on peut les lier et on l’a fait. On a travaillé les marcs, les mouts, les fûts, … aujourd’hui on a envie d’aller aussi vers d’autres choses.
Julien : Les bières au raisin c’est quand même une bonne idée ! D’ailleurs, la Saint Lamv 22 est hallucinante ! Ça goûte super bien, une vraie douceur.
Jean : Ah oui, on va clairement être obligés de continuer les assemblages avec du grenache (la 2022 est issue d’un assemblage de merlot, grenache et syrah). Je suis très content de la Sang Bleu aussi cette année.
Adrien : Qui est le plus zwanzeur (comprendre fêtard) dans la famille ?
Jean : Pour mon âge je suis encore pas mal mais je dirais que c’est toi maintenant (il s’adresse à Florian) !
Florian : Si on reste dans la famille, avec les petits cousins la relève est assurée !
Adrien : Un mot pour qualifier la nuit Bruxelloise ?
Jean : La bière (rires) !
Florian : Bruxelles est une grande ville mais on dit que c’est aussi un petit village, tu tombes souvent sur des gens que tu connais, c’est agréable et je ne me vois pas la quitter.
Jean : Je dirais mystérieuse. Si une personne arrive ici, il ne sait pas quelles portes il doit aller ouvrir, il va penser que c’est ennuyeux. Mais si tu pousses les bonnes portes, tu vas te retrouver à faire la fermeture du resto, rideau tiré, à boire des bonnes bouteilles et à passer des super moments.
Julien : On le voit vite, ici il y a beaucoup de convivialité, les gens se parlent facilement.
Florian : On peut se considérer comme assez accueillants, c’est vrai, surtout côté sud. Chez les flamands, il faut connaitre encore un peu plus. La ville est un peu coupée en deux par le canal.
Jean : On ne connait pas la partie nord !
C’était un moment convivial, une discussion qui s’est déroulée en toute simplicité. Il ressort de cet échange qu’on apprécie d’autant plus les bons produits quand ils sont faits par de belles personnes que l’on a la chance de côtoyer.
Indéniablement, c’est le cas de la famille Van Roy. L’humilité et le talent ont fait leur job. Aujourd’hui, Cantillon est incontournable, mais cela n’est pas dû au hasard.
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